Chapitre 3
Ce soir là, ils arrivèrent à
l’auberge et retinrent une chambre. Après leur toilette, ils dinèrent
sombrement dans la salle commune avant de se retirer pour la nuit. Ils avaient
été peu bavard pendant le reste du trajet, et guère plus pendant le diner. Alors
qu’ils étaient au lit, Aldrick savait bien qu’il devrait rompre le silence et
consoler sa famille, mais il ne parvenait pas à en trouver les mots. Il n’avait
lui-même, toujours pas réconcilié les horribles évènements de l’après-midi avec
la réalité. La scène avec Jelénna, une dague à la gorge, se rejouait sans cesse
dans sa tête, et il ne pouvait que frissonner d’horreur à l’idée qu’il avait
faillit perdre sa famille.
D’après le remue-ménage que menaient
les deux autres autour de lui, il était clair qu‘ils ne parvenaient pas dormir
non plus. Il se leva et alluma la mèche d’une bougie aux braises de la cheminée,
et la dressa sur une table bancale près du lit, de son coté.
« Tu n’arrives pas à dormir
non plus ? » chuchota Jelénna.
« Non. »
« Je ne dors pas non
plus » s’écria Adrias de sa couchette dans le coin de la pièce.
« Lis-moi une histoire, Père !»
Aldrick grimaça, « Il est
tard, essaye de dormir »
« Aaaah, s’il te plait !
Tout le monde est réveillé »
Aldrick soupira. « D’accord,
mais je te préviens, le seul livre que j’ai amené est le livre
d’Anunnabi. »
« Je veux une
histoire ! »
« Bon, bon d’accord,
laisse-moi le chercher. »
Aldrick fouilla dans son sac et en
retira un livre ancien, relié de cuir. Sur la couverture bien usée, figurait un
titre doré à l’or fin, qui était presque tout effacé par l’âge. Aldrick en
sourit à sa vue, malgré lui.
Se frottant les yeux, il se rassit
sur le lit et approcha la chandelle un peu plus près.
« Si tu trouves ça barbant,
rappelle-toi que c’est toi qui l’as demandé. » Gloussa Aldrick, et puis il
commença à lire.
« Avant
même que n’existasse le temps, il n’y avait nulle autre chose que le néant des
ténèbres sans fin, dans lequel s’éternisait l’esprit que l’homme vint à appeler
de nos jours : l’Omni-Père. »
« Est-ce que toute l’histoire
est dans ce drôle de langage ? » Interrompit Adrias.
Aldrick se mit à rire. “Oui bien sûr.
C’est ainsi que parlaient les gens jadis. Puis-je continuer ? »
Adrias, se laissa retomber sur sa
couchette en soupirant. « Je suppose que oui. »
Aldrick retint son sourire en se
raclant la gorge et continua.
« Il
est dit que l’Omni-Père, se lassant de la solitude, conçut la notion de temps
et celui de la matière, et, d’une seule pensée, leur insuffla la vie. L’Univers
physique ainsi fut, et, blottis dans le berceau du temps qui passe, les cieux
jaillirent en existence »
« Comme c’est
rasant ! » Interjeta Adrias.
« Je t’avais prévenu. »
« Mais ça l’est. » Gémit Adrias.
Aldrick secoua la tête
« Dois-je m’arrêté là ? »
« Non, vas-y continue »
« L’Omni-Père
trouva que sa domination sur l’Univers Physique était restreinte par le fait d’être
hors du temps et de la matière. Pour amplifier sa puissance sur la création,
l’Omni-Père conçut alors un réceptacle pour recevoir une portion de Sa force
dans la dimension physique. C’est ainsi que cet appareil astrale que l’Homme
nomma Tritaph vint à être. »
« Le Tritaph ? »
« La clef de voûte de
l’Univers » Aldrick expliqua. « C’est la chose la plus importante qui
n’ait jamais été créée. Ne vous enseignent-ils donc rien à
l’école ? »
« Barbant… » Murmura
Adrias.
Aldrick se tourna vers Jelénna.
« Au moins, il dit la vérité. »
Jelénna sourit et se blottit
contre lui. Aldrick embrassa rapidement sa femme et puis continua à lire.
« C’est
alors que l’Omni-Père reconnu l’exigence d’une souveraineté sur les trois
nivaux de l’Univers, qui sont constitués des cieux au-dessus, la Terre
en-dessous et Urkalla, ou l’au-delà, comme est souvent nommé par l’Homme ce
niveau. Ainsi donc, l’Omni-Père prit le Tritaph et appela à l’existence, trois
Gardiens pour régner sur chacun d’eux. »
« C’est le Panthéon
Tripartite, n’est-ce pas Chéri ? » Demanda Jelénna.
« Exact, les trois enfants de
l’Omni-Père. Cependant, si tout le monde continue de m’interrompre, je n’en
finirai jamais avec cette histoire.” Dit Aldrick, faisant semblant de soupirer
d’exaspération.
Jelénna lui sourit simplement et
il continua.
« Faisant
paraitre la lumière pour en remplir les cieux, il fit don à son premier enfant,
sa fille Anu, la domination sur le ciel infini. Anu était un esprit, léger,
elle était pleine de joie, bonne, douce et d’une immense beauté. Anu était
fougueuse, pleine d’entrain, tendre et affectueuse. Mais elle était aussi
erratique et capricieuse que les vents.
Ensuite,
l’Omni-Père mit en place le firmament de la Terre et installa son deuxième
enfant, son fils Kian, le plus fort des trois, lui donnant la domination sur
Terre. Solide et fiable, il était beau
et robuste. Incarnant la Raison, Kian aimait la vérité, le savoir et
recherchait la justice. Kian veillait sur la terre avec sa force et son
courage. Cependant, il négligeait souvent les relations nécessaires avec sa sœur
dans les cieux et son frère dans l’au-delà, à Urkalla. »
« Kian a toujours été mon
préféré » dit Aldrick en prenant une gorgée d’eau.
« Comme tu l’as dit à maintes
occasions. » sourit Jelénna. « Maintenant, qui est en train
d’interrompre ? »
Aldrick reposa son verre en riant
doucement.
« Finalement,
l’Omni-Père donna à son dernier enfant, son fils Nizar, la Domination sur
Urkalla. Régnant sur l’au-delà, Nizar s’aperçut qu’il ne pouvait influencer ni
la vie qui tournoyait dans les cieux, ni la vie qui pullulait au firmament du
monde. Son domaine ne consistait que de la Mort, l’équilibre nécessaire de la
Vie. Ainsi, avec le temps, Nizar fut consumé par un incessant désir pour ce
qu’il ne pouvait posséder. De son trône de crânes, il devint de plus en plus
maladif de ne pas pouvoir s’emparer de l’objet de sa convoitise. Avec le
passage des millénaires, il devenait de plus en plus envieux des Domaines de
son frère et de sa sœur. »
« Il me fait peur,
Père. » dit Adrias en levant la tête.
« Comme il se doit »
répondit Aldrick du même avis. Réalisant qu’il était supposé distraire son fils
de ces pensées négatives, il ajouta vite, « Mais ne t’inquiète pas, cela
se passait il y a très longtemps. »
Adrias grogna quelque chose qui
aurait put être assentiment, et Aldrick continua sa lecture, laissant tomber le
sujet.
« Ainsi
les trois dimensions de l’existence et le Panthéon Tripartite furent créés.
Avec sa propre influence limitée dans l’Univers Physique, l’Omni-Père choisit
de placer le Tritaph lumineux, en tant que Clef de Voûte de la création, pour
maintenir l’équilibre entre chacune des trois dimensions de l’existence.
C’est
donc ainsi qu’il advint que Nizar, dans son royaume d’ombres, fut de plus en
plus consumé par la haine et la jalousie envers son frère et sa sœur, de sortes
qu’avec le temps sa forme physique se transforma en une créature difforme et
abhorrante, reflétant son tempérament intérieur. Abandonnant la Raison, Nizar
vint à convoiter le Tritaph, croyant que sa puissance, puisqu’elle avait été la
genèse du monde même de la vie, pourrait alors corriger ses difformités récentes
et lui octroyer d’immenses pouvoirs.
Nizar
parut alors devant son Père, et insista pour qu’il lui conférât le Tritaph.
Nizar se plaignit que sa difformité était laide, injuste et qu’il méritait
d’être beau et plaisant à regarder à nouveau, semblable à son frère et sa sœur
qui eux étaient beaux et sublimes.
Mais
par miracle, l’Omni-Père réprimanda Nizar, car il vit que le visage de son
fils, n’était que le simple reflet de son tempérament intérieur.
‘Véritablement, tu es consumé par un désir et une envie exécrables, avec rien
d’autre que l’hostilité et la jalousie dans ton cœur. Même la puissance du
Tritaph ne pourrait défaire ce que tu as toi-même forgé sur ta propre chair
avec ta haine et ta rancœur.’
Nizar
courroucé, jura châtiment, proférant d’ignobles injures et épithètes, non pas à
l’Omni-Père, car il était tout-puissant, mais plutôt à Sa Création, qui elle
était éphémère. Ainsi Nizar convoitât le pouvoir du Tritaph et la promesse de
sa puissance, et complotât dans son cœur de dérober la clef de voûte de
l’Univers.
Anu
et Kian, découvrant son intrigue, craignirent désormais que leur frère défiguré
s’accapare un pouvoir illimité avec la possession du puissant Tritaph. Ils
savaient que si Nizar viendrait à posséder la clef astrale, il provoquerait un
tel désastre au sein de l’Univers, qu’il engendrerait un chaos absolu, voire la
destruction des dieux eux-mêmes.
Ils supplièrent
donc l’Omni-Père de détruire le Tritaph, ôtant ainsi l’objet de convoitise malicieuse
de leur frère. Ils espéraient donc désister l’anarchie et l’anéantissement de
leurs deux domaines.
Tristement,
l’Omni-Père rejeta la plaidoirie de ses enfants. Il ne pouvait détruire le
Tritaph, car la perte de la Clef de voûte de l’Univers déferait la Création
elle-même. Il ne pouvait pas détruire Nizar non plus, car il était désormais véritablement
entrelacé avec Urkalla, et ne pouvait être anéantit sans que se rompe également
l’équilibre de tout ce qui existait. Sans l’au-delà, la Terre et les cieux
cesseraient aussi d’exister. »
Adrias ferma les yeux et baillât. Aldrick
pausa, espérant pour le mieux, mais les yeux d’Adrias s’ouvrirent. Aldrick
continua.
« Cherchant
l’équilibre, l’Omni-Père trancha le Tritaph en tiers et donna à chacun de ses
enfants, un morceau à garder. Ceci maintînt le pouvoir du Tritaph au sein de
l’Univers Physique tout en assurant que personne ne puisse le posséder en
entier. Et miracle ! L’Omni-Père façonna une clef sans laquelle, le
Tritaph ne pourrait être réassemblé.
C’est
ainsi que Ses enfants infusèrent une partie d’eux-mêmes dans leur tiers
respectifs du Tritaph, chacun cherchant à protéger son morceau. Anu et Kian
allèrent jusqu'à cacher subrepticement leur tiers, pour qu’il ne soit pas perdu,
par apathie ou inattention à la convoitise de leur frère. Dorénavant, ses
ambitions furent pour toujours contrecarrées, du moment que les trois morceaux
du Tritaph ne soient jamais réunis.
Cependant,
il est écrit, que si une personne vint à posséder, ne serait-ce qu’une seule pièce
du Tritaph, le possesseur obtiendrait des pouvoirs inouïs. On dit aussi que de
se lier à un tel objet, infusé qu’il est de l’essence même de son Protecteur,
forcerait l’esprit de son véritable Propriétaire –Anu, Kian ou Nizar- de
fusionner et peut-être inexorablement usurper l’âme même du détenteur de
l’objet.
Jusqu’à
nos jours, l’Homme recherche les vestiges du Tritaph et la clef qui
l’accompagne, et ce, toujours sans succès. Véritablement, son existence même,
n’est peut-être que légende… »
« J’adore cette
histoire » dit Aldrick en souriant. Il referma le livre. « Qu’en
pense… »
Il coupa court quand il réalisa
que sa femme et son fils étaient maintenant profondément endormis. « Et
bien, je le trouve très intéressant en tous cas », gloussa t’il, et
soufflant la bougie qui fumait, s’étendit sur le dos et ferma les yeux avec un
soupir de contentement.
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